« Je me demande si cette obsession, la mienne, de déposer des émotions tant que je le peux, de ne pas les nier et de tenter de faire résonner l’universalité de nos sensations, je me demande si cette obsession, c’est pas justement en réponse à ça : ce monde-machine, ce monde sans foi, dans lequel on vit, qu’on le veuille ou pas.
Alors voilà, cette fois, je vous viens avec Nina.
Une fille presque rangée, par Naomi, avec Nina Bouraoui, c’est parti :
"J’ai peur de l’interchangeabilité des êtres, j’ai peur de l’invasion de la virtualité, de ce qui existe sans exister, de ce que l’on ne peut saisir ni contrôler et qui pourtant sans cesse nous obsède. Rivés à nos écrans, aspirés par le tourbillon des images, des évènements qui se succèdent et s’annulent, dans un même mouvement. J’ai peur de la négation de l’être devenu, soudain, invisible.
Je veux la chair et la sueur, je veux le souffle et la salive. Je veux sentir palpiter, exister. Je veux prendre par les épaules et caresser la nuque. Je veux toucher la peau, entendre la voix et y répondre. Je préfère le désordre des humains à l’ordre des machines. J’ai peur de la déchéance de la poésie, j’ai peur de l’invasion matérielle, industrielle, technologique. Je veux toujours regarder le bleu du ciel en pensant qu’il est un élément majeur du décor qui me protège. Je veux toujours regarder la lumière qui traverse les feuilles des arbres quand vient le printemps et me dire qu’elle est liquide comme la sève. (...)."
Nina Bouraoui, auteur française née en 1967, et je vous le dis, je n’ai pas encore lu un livre d’elle, donc je vais pas faire ma maline en vous parlant de sa biographie, je le ferai dès que je me serai laissée habiter par ses livres. Mais par contre ce texte résonne en moi depuis pas mal de temps déjà, je l’adore, il me revient en pleine face quand, justement, ce monde dont elle a peur je sais que je suis dedans.
Ben oui, au plus la vie va, au plus on s’enfonce en ce siècle franchement oui je la sens, cette pauvreté-là, celle qui nous rend invisible, de plus en plus, celle de la remplaçabilité à tout va,
Et voilà pourquoi sans doute mes déversements, ma manière à moi de ne pas accepter totalement d’être transparente.
Mais finalement tant qu’on se le dit, tant qu’on se dit ça, tant qu’on ose se partager encore des mots, tant qu’on entend encore entre ceux-ci des silences et des tremblements, des hésitations, et non une succession d’affirmations tout n’est pas perdu, la machine n’a pas encore pris le dessus.
Et j’en parlais l’autre jour, avec une amie une amie qui écrit, on parlait de cette folie, là, désormais, celle de l’AI.
Et j’en venais à conclure qu’existera peut-être et sans doute un choix. Celui de l’authenticité, et que parler en son nom, et non se faire dicter par une machine plus performante que vous, pourrait bien devenir une nouvelle mode, vous savez, « testée et approuvée ».
Comme on mange sans additifs ou sans colorants et bien dans le futur, potentiellement on pourrait en faire un truc cool, trendy, vendeur même, « pensé sans l’aide d’AI, 100 % humain ».Allez, vive le monde de demain. »
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