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Photo du rédacteurNaomi Monson

La Chute


Ca fait longtemps que cela ne m’était pas arrivé, vraiment longtemps à vrai dire, de tomber. Vous savez, le sol qui glisse sous vos pieds et hop patatras, par terre.


Et de cet instant où vous étiez debout à cet instant où vous vous retrouvez au sol en gémissant, s’est écoulé un court laps de temps. Un très court laps de temps, en réalité, qu’est-celui de la chute. Et souvent, au cours de cette fraction de seconde, notre corps inconscient prend le dessus et tente de nous tirer au mieux de l’affaire. Réflexes au top niveau. Le bras droit qui s’allonge, la main qui se détend et tente d’amortir le fracas, le léger déhanché qui permet à votre corps de tomber en biais, histoire de ne pas se fracturer le genoux, et puis le truc qui moi me fait rire à chaque fois, après coup, c’est l’espèce de cri bestial qui sort de soi, qui sort de vous. Une tonalité dans laquelle on a du mal à se reconnaître et pourtant qui vient de soi, bref, si je raconte tout ça, c’est que ma chute, là, il y a quelques instants, sur mon sol tout à coup devenu glissant, et bien ça m’a rappelé ce livre que j’ai lu il y a quelque temps, quelques mois je crois.


« Mais la terre est obscure, cher ami, le bois épais, opaque le linceul. Les yeux de l’âme, oui, sans doute, s’il y a une âme et si elle a des yeux ! Mais voilà, on n’est pas sûr, on n’est jamais sûr. Sinon, il y aurait une issue, on pourrait enfin se faire prendre au sérieux. Les hommes ne sont convaincus de vos raisons, de votre sincérité, et de la gravité de vos peines, que par votre mort. Tant que vous êtes en vie, votre cas est douteux, vous n’avez droit qu’à leur scepticisme. »


La Chute, d’Albert Camus. Immense écrivain, dont j’ai déjà parlé, et j’en parle souvent, il me rassure, il m’accompagne, il m’aide à ne pas avoir peur de ce que je sens. Albert Camus, né en 1913 en Algérie. Je ne vais pas vous reparler de sa biographie, sachez juste qu’il est de ceux qui ne cherchent pas à gagner, et il suffit de voir sa mine décomposée lors de la remise de son prix Nobel en 1957 pour comprendre de quel trempe il était, de celle qui jamais ne se complait.


Ici, dans cet extrait, il est question du désenchantement d’un homme ma foi ordinaire, qui sur chemin croise une femme qui chute, un suicide sans doute, et cette chute-là va étonnement impacter le cours de son existence, ou plutôt l’idée-même qu’il se fait de l’existence.


En réalité, le narrateur, cela pourrait être vous, cela pourrait être moi, et au cours de son exposé, on comprend qu’il parle en réalité de l’humain, dans son intégralité. Un humain sans grâce, il me semble, qui s’est soustrait à cette possibilité là, après ce qu’il a compris, et ce qu’il voit.


Alors, il se questionne sur le sens de cette existence qu’est la nôtre et derrière cette narration se cache en réalité une mine de sujets éminemment philosophiques, on retrouve là l’un des thèmes que développe Albert Camus dans toute son oeuvre: l’absurde.


Ce qui me frappe moi dans ce récit, c’est l’extrême lucidité de Clamence, le narrateur, lucide au point d’en devenir gênant. Ce qui m’émeut ensuite, c’est cette façon qu’il a de s’analyser au même titre qu’il analyse la société. Le regard qu’il porte sur l’autre, il le porte d’abord sur lui même, et voilà en quoi il est doux, selon moi, malgré l’âpreté de son discours.


Car si chacun avait le courage de se regarder autant que Clamence se regarde, il me semble que nous serions tellement plus aimants. Faire preuve d’humilité. Détricoter minutieusement l’idée de l’homme magnifique, de l’homme si bon et si grand, c’est se rendre compte de ce que nous sommes réellement. Et de savoir que nous tous portons en nous ce germe d’une humanité dont nous avons honte, car elle n’est pas si reluisante que cela, l’humanité, et bien je pense que cela nous rendrait plus à même d’aimer. Plus à même de regarder, d’écouter. D’amortir nos chutes mutuelles, et dans le meilleur des cas : d’empêcher que l’un d’entre nous en vienne à ce point de non retour là : la suppression de soi.


Pensées de moi, vers celles et ceux qui sont partis de cette manière là.

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