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Photo du rédacteurNaomi Monson

Bloqué

Dernière mise à jour : 18 juin 2019

Et dire que

c'est au nom de la sécurité

que l'ascenseur est bloqué.


Oui, depuis des mois, celui qu'on aime, tellement il est beau, abîmé, usé,

charme du passé


oui depuis des mois, celui qui auparavant

avec ses petits boutons noirs

moulés en une matière solide dont la forme était moelleuse,

avec ses petits boutons mignons en guise de commande,

avec peine se hissait

et dans un souffle glisser se laissait

oui, lui

avec ses petits boutons noirs mignons sur un socle cuivré,

joliment pâtiné,


depuis des mois,

sous l'action chirurgicale de ces monsieurs qui ont fini par faire partie du couloir tellement ils s'acharnaient à réanimer,

ton coeur

battant au rythme des étages,


depuis des mois, nous pensons

à

ton

prompt

rétablissement.


Avec nostalgie,

nous nous souvenons de

ton miroir moucheté

qui nous offrait

- l'espace d'une descente ou d'une remontée dans tes entrailles -

un reflet

doux

de nous.

Car ta lumière est belle,

ni néon, ni led,

tu fonctionnais encore à l'ancienne.


Toi, ascenseur au bois d'ébène,

de moulures tu nous offrais le luxe,

en apesanteur tu te mouvais en lenteur.


Là où tes collègues se font stridents,

où d'étage en étage s'arrêtent en parlant,

toi tu crachotais un bruit sourd et violent

lors de ton départ, machinalement.


Et te voilà réparé,

si fier tu sembles te montrer!

Un nouveau tableau de bord tu arbores,

fini la couleur or,

désormais tu affiches un air d'argent

et opte pour des boutons clignotants.


Oh comme tu es chou,

combien de remous

as-tu vécu, entre espoir et désolation,

tu craignais que contre un autre nous t'échangions.


Alors tu as fait de ton mieux, de patience tu t'es armé,

tu t'es laissé relooké

et te revoilà parmi nous, bien-aimé!

Il a fallu te recâbler, les faux-contacts les arranger,

ton bois abîmé

fut chouchouté,

vernis et autres enduis pour te

protéger.

Sans compter le drame qui t'es arrivé,

ton toit s'était effondré!


Nous sommes heureux et t'acclamons,

toi qui depuis près d'un siècle nous porte et nous élève,

à notre service.


Pour notre sécurité tu fus programmé,

mais ne semble pas apte à gérer.

Te voilà

bloqué!

Encore et encore,

tu voudrais pourtant

tant

te montrer fort.


Ascenseur chéri,

ce n'est pas ta faute,

c'est de la nôtre,

de notre époque.

Toi,

d'une autre ère tu viens,

et dans ce siècle sans saveur,

sans goût de la lenteur,

bercé par l'illusion de la sécurité qui partout met ses boucliers,

tu tentes de

résister.


Moi aussi.

Quitte à rester

bloquée

pour ne pas mourir

asphyxiée.











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