Et dire que
c'est au nom de la sécurité
que l'ascenseur est bloqué.
Oui, depuis des mois, celui qu'on aime, tellement il est beau, abîmé, usé,
charme du passé
oui depuis des mois, celui qui auparavant
avec ses petits boutons noirs
moulés en une matière solide dont la forme était moelleuse,
avec ses petits boutons mignons en guise de commande,
avec peine se hissait
et dans un souffle glisser se laissait
oui, lui
avec ses petits boutons noirs mignons sur un socle cuivré,
joliment pâtiné,
depuis des mois,
sous l'action chirurgicale de ces monsieurs qui ont fini par faire partie du couloir tellement ils s'acharnaient à réanimer,
ton coeur
battant au rythme des étages,
depuis des mois, nous pensons
à
ton
prompt
rétablissement.
Avec nostalgie,
nous nous souvenons de
ton miroir moucheté
qui nous offrait
- l'espace d'une descente ou d'une remontée dans tes entrailles -
un reflet
doux
de nous.
Car ta lumière est belle,
ni néon, ni led,
tu fonctionnais encore à l'ancienne.
Toi, ascenseur au bois d'ébène,
de moulures tu nous offrais le luxe,
en apesanteur tu te mouvais en lenteur.
Là où tes collègues se font stridents,
où d'étage en étage s'arrêtent en parlant,
toi tu crachotais un bruit sourd et violent
lors de ton départ, machinalement.
Et te voilà réparé,
si fier tu sembles te montrer!
Un nouveau tableau de bord tu arbores,
fini la couleur or,
désormais tu affiches un air d'argent
et opte pour des boutons clignotants.
Oh comme tu es chou,
combien de remous
as-tu vécu, entre espoir et désolation,
tu craignais que contre un autre nous t'échangions.
Alors tu as fait de ton mieux, de patience tu t'es armé,
tu t'es laissé relooké
et te revoilà parmi nous, bien-aimé!
Il a fallu te recâbler, les faux-contacts les arranger,
ton bois abîmé
fut chouchouté,
vernis et autres enduis pour te
protéger.
Sans compter le drame qui t'es arrivé,
ton toit s'était effondré!
Nous sommes heureux et t'acclamons,
toi qui depuis près d'un siècle nous porte et nous élève,
à notre service.
Pour notre sécurité tu fus programmé,
mais ne semble pas apte à gérer.
Te voilà
bloqué!
Encore et encore,
tu voudrais pourtant
tant
te montrer fort.
Ascenseur chéri,
ce n'est pas ta faute,
c'est de la nôtre,
de notre époque.
Toi,
d'une autre ère tu viens,
et dans ce siècle sans saveur,
sans goût de la lenteur,
bercé par l'illusion de la sécurité qui partout met ses boucliers,
tu tentes de
résister.
Moi aussi.
Quitte à rester
bloquée
pour ne pas mourir
asphyxiée.
Comments